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Abbaye aux Dames – la Cité musicale, le 19 juillet 2017, Par Strapontin au Paradis

Retour sur le Festival de Saintes

Festival de Saintes, Abbaye-aux-Dames. Photographie © Michel-Garnier.

Du 14 au 22 juillet, en une semaine élargie, des programmes musicaux riches en diversité, du baroque à nos jours, ont animé les anciennes pierres de l'Abbaye aux Dames. Autrefois réputé comme un lieu de pèlerinage baroqueux plus ou moins obligé, le Festival de Saintes élargit considérablement son champ. Ainsi, notre premier concert, le 19 juillet, était composé d'œuvres de György Kurtág, d'Alfred Schnittke et de György Ligeti.

Le Concerto pour chœur

Ce concert est en réalité une sorte de deux concerts parallèles sur le même thème, celui de la guerre et de l'Holocauste ainsi que la restriction soviétique. Dans ce concert, le pianiste belge Jan Michiels est présent en solo pour la majorité de la première partie, en jouant Versetto : Temptavit Deus Abraham, apocryphal organum de Kurtág, Lento de la première sonate pour piano de Schnittke, Automne à Varsovie et L'escalier du diable de Ligeti, Allegro de la sonate de Schnittke et enfin, An apocryphical hymn (dans le style d'Alfred Schnittke). Au milieu de ce programme est placé Lux Eterna, œuvre chorale de Ligeti. La deuxième partie est entièrement consacrée au Concerto pour chœur de Schnittke, par Collegium vocale Gent sous la direction de Kaspars Putniņš.

Lauréat du concours Reine Élisabeth en 1991, Jan Michiels a notamment dirigé la classe de musique contemporaine pendant huit ans à Koninklijk Conservatorium Brussel où il est professeur de piano. Son jeu énergique qui s'empare de ces partitions, souvent dissonantes et sonores, est en soi une formidable performance. Mais l'acoustique généreuse de l'abbatiale fait mélanger et flotter les notes et à certains moments on a l'impression de se baigner dans un océan de sons, avec leurs multiples notes harmoniques, ce qui n'est pas en définitive désagréable. Seulement, les propos violents et déchirants que recèlent ces pièces nous rendent aussi confus que l'exécution est engagée…

Le Concerto pour chœur de Schnittke se fonde sur une tradition chorale russe du concerto pour chœur comme genre, qui apparut au début du xviiie siècle et connut son apogée le siècle suivant avant de disparaître avec la révolution de 1917. L'œuvre est composée longtemps après cette rupture, en 1986, et elle intègre des dissonances grinçantes sur un fond traditionnel. Collegium Vocale Gent est excellent comme il l'est dans Bach, montrant plus que jamais sa richesse vocale hors pair.

Ensemble la rêveuse. Festival de Saintes. Photographie © Michel-Garnier.

Devotional songs and anthems

Changement d'ambiance. L'ensemble La Rêveuse lève le voile sur les chants de dévotions de Purcell en langue anglaise, pratiqués à l'époque de la Restauration de la dynastie des Stuart. Avec ce nouveau régime, la vie artistique et musicale se transforme et la musique de cour se remet en place. Les musiciens italiens renouvellent des styles, surtout vocaux, avec leurs arrivées dans les années 1660 et 1670. Désormais, on chante avec des techniques plus virtuoses, comprenant de nombreux ornements écrits, qui élargissent l'ambitus vers les aigus et demandent des souffles à longue haleine.

Le texte du violiste Florence Bolton et la discussion après le concert avec Benjamin Perrot, joueur du théorbe, nous indiquent plusieurs points essentiels sur ces devotional songs. Composées entre 1680 et 1688 selon toute vraisemblance, leurs partitions demeurent manuscrites et conservées au British Museum. On ne connaît pas leurs destinataires, toutefois, on suppose qu'elles étaient écrites pour un usage privé, étant donné que le régime puritain de Cromwell avait encouragé la dévotion domestique. Or, étant donné qu'une pratique privée et intime n'exigerait certainement pas une telle virtuosité, il est fort probable que le ou les propriétaires de ces pages étaient des chanteurs professionnels de la cour, ou, en tout cas, confirmés. Il est étonnant que Purcell composât ces musiques imprégnées d'une profonde mélancolie, voire du désespoir, avant qu'il n'ait même pas atteint son 30e anniversaire ; mais, les contextes de l'époque — la grande peste, le grand incendie de Londres, des tensions politiques, religieuses et sociales… — jouèrent certainement leur part. Les contrastes déclamatoires, dans une sorte de récitatif libre, sont d'excellents moyens d'expression à la fois sombres et passionnées des paroles souvent moroses selon la sensibilité actuelle.

L'interprétation est à la hauteur — et comment ! — de ces ténébreux tempéraments. Le ténor Romain Bockler et la basse Geoffroy Buffière apportent précisément de beaux contrastes dans les couleurs, mais Jeffrey Thompson se distingue nettement avec ses expressions très poussées d'affects vocaux et gestuels. Prise par ce jeu, il devient parfois véhément, mais on se réjouit de cet investissement musical vibrant, qui invite toute la salle à vivre cette émotion si particulière. La partie instrumentale, tenue les deux musiciens, ainsi que par Brice Sailly au clavecin, inviet à une gravité prenante. C'est comme s'ils nous entrainaient dans un tableau représentant un haut dignitaire richement vêtu, mais au regard austère, baigné d'une grande angoisse…

À deux reprises, les musiciens jouent des Divisions de Godfroy (ou Gottfried) Finger (ca. 1660-1730), en sol majeur et en sol mineur. Ce violiste morave s'installe à Londres dans les années 1680 et travaille comme musicien de la Chapelle Royal catholique de James II. Actif par la suite dans diverses cours du continent (Vienne, Berlin, Wroclaw, Innsbruck, Mannheim), il compose et publie tout au long de sa vie de nombreuses partitions instrumentales et vocales. Mais quant à ses pièces de viole, il les garde à son chevet, pour son plaisir personnel, dit-on. Les coups d'archet spectaculaires et virtuoses rendus par Florence Bolton avec tant de musicalité méritent toute une attention d'autant qu'ils donnent des touches de gaîté à ce programme sensible.

 

 Strapontin au Paradis
6 septembre 2017
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